Une voix clame un départ imminent.
En fait non ! Le temps de se mettre en place que la même voix annonce encore 8mn avant le start ! Pfff … Bien la peine de couper court à la mise en route de la vieille machine. Au moins 25 ans que je n'ai pas fait de 5000m et il va falloir s'y mettre, et vite. Un coup d'œil derrière moi, des centaines de coureurs trépignent. Je suis quasi devant. Retarder la mise en place en faisant la fin de l’échauffement au devant de la foule, vieille habitude…Un couple, sur la gauche de la chaussée, la femme et l'homme, chacun un chien en laisse, s'apprêtant à prendre le départ de l'épreuve. Sceptique sur les conditions du départ quand la meute va être lâchée, je manque d'avoir des pensées mauvaises à leur encontre. Le speaker annonce que tous les engagements de ce 5km seront reversés au refuge animalier que ce couple représente. Je chasse toute médisance de mon esprit. Jojo le clown tente de motiver les troupes mais je sens les gens nerveux, peu enclins aux facéties de cette figure emblématique des pelotons.
Le départ est imminent. Vraiment ! L'homme au micro égrène le compte à rebours. “Pan !...Pan ! ...” La folie s’empare de tous ces gens avides d'espace. Bousculade insensée, cris, engueulades. Un vrai foutoir ! Un nouveau “Pan !...”, alors que 10 mètres à peine sont franchis. “ Faux départ !!! Faux départ !!!” Des voix s'élèvent à l'avant, ça gueule ! Les premiers ralentissent, font barrage. En quelques mètres, le troupeau s'immobilise. Les questions fusent, personne ne semble comprendre. Pas plus les organisateurs, interloqués, que l'ensemble des coureurs. Jamais vécu ça en presque 40 ans de courses. Plutôt drôle.
Le gars au micro nous explique qu'on va redonner le départ après que le gestionnaire de chrono ait remis le système à “0”. mais faut remettre le troupeau derrière le détecteur de puces. C’est pas gagné…
A nouveau en place, le doigt sur le bouton de la montre, prêt à en découdre. Décompte… “Pan !” Nous voilà repartis. Re-bousculade, re-engueulades, certains sont déjà partis trop vite et bouchonnent. Il faut zigzaguer, éviter les coudes, éviter de tomber. Étroit le départ, étroit… Ça se dégage, un œil à la montre. 3’30 en allure, sensations d’un cœur bien haut.
Normal.
Je ralentis un poil, un gars me passe à côté, pas un gamin mais plutôt ma génération, alors que le mur s'annonce après 800m de course. Ce mur, toutes les courses l’auront emprunté. Cent cinquante mètres tout au plus mais un beau pourcentage, il me faut temporiser. Je décide de ne pas suivre celui qui, au final, fera 1er de ma catégorie. J'avais bien vu mais j'avais pas les jambes … Nous basculons, j’allonge la foulée. Put’! Et ce cardio qui ne veut pas se calmer, je reste dans le rouge !
Cette course, décidément, restera particulière. Annulés la veille par un bien éclairé arrêté municipal, tant le déluge qui s'est abattu sur le région lui a donné raison, les 5 et 10 kms étaient finalement reprogrammés même heure le dimanche, après le semi et le marathon du matin. Du coup, pas couru le samedi et “zappage” de routine pré-compet. J'ai eu beau essayer de faire un bon échauffement, essayer de bien “envoyer” sur les accélérations, je ne
trouve pas le souffle, pas l'équilibre. Je ne suis pas dans le coup. Bon, je pourrais dire que je viens de faire dix jours en famille, et que la course à pieds n'a vraiment pas été une priorité.
D'accord ! On va dire ça pour se trouver une excuse !… Et pourtant, je serre les dents, je m'accroche quand je me fais doubler. Bagarre de chaque instant, avec les autres, avec moi-même. Après quelques virages, quelques relances, nous sortons du camping, longeons la plage, le vent marin nous fouette mais n'est pas contre nous, n'est pas un adversaire de plus. Un petit coup d'œil sur la mer, les belles vagues, la passerelle de bois jetée au-dessus du sable. Sympa Saint Pierre la Mer, faudra y revenir…
Faut s'y remettre, que Diable ! Du public, maintenant plus nombreux, nous encourage alors que nous arrivons près des chalets de l'organisation. Une fille, une énième, me double, je m'accroche. J'arrive à rester dans son sillage, je prends un relais. Euh… Rectificatif. Je tente de prendre un relais ! Et me résous très vite à devoir me satisfaire de juste l'accompagner.
Le souffle est court, encore, toujours. Presque le goût du sang dans la bouche, sensation oubliée.Nous tournons le dos à la plage, deux, trois virages à droite, des encouragements jaillissent de derrière les barrières. Nous voilà dans le final. Des coureurs, là, juste à portée !
Pas de jus, pas l’étincelle pour aller les chercher. Juste finir, ne pas ralentir.
Finir.
L’arche bleue franchie, les mains sur les genoux, le cœur redescend très vite.
Les félicitations de Joël, c'est sympa. Je regarde la montre, c'est moins sympa…
Allez, pas de regrets ! C'est une course pour jeunes et… Et je n'ai plus vingt ans. De toute façon, à vingt ans, je ne courais pas ! 50ème scratch et 2ème M5, mon égo s'en contentera. “Une bière, en terrasse, au soleil ?”
“J'y pensais Jo ! Après ton marathon ce matin, son parcours de montagnes russes et tes 3h43’52, tu la mérites bien !”. Pourquoi une seule?
A la nôtre.
Et à la santé de Maxime qui nous cherche dans la foule !